C’est une comptine de Theodóra Thóroddsen, une fameuse poétesse islandaise qui a inspiré à Hélène Magnússon la charmante petite poupée Theodóra Elle prend vie sous a plume de Harpa Jonsdottir dans “Les aventures de Theodóra”.
“Níu litlar ljúflingsmeyjar um leiðina tóku að þrátta.
Ein þeirra datt í lækinn, þá voru eftir átta.”
“Dix charmantes petites demoiselles se faufilèrent hors du clos,
Grand-mère en attrapa une et il n’en resta plus que neuf.”
Les patrons et kits des poupées et leurs vêtements sont tous ici.
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HORS DU CLOS
« Tada !» Henríetta tourne sur elle-même et fait virevolter sa robe vert tendre dans la brise d’été.
« Elle est trop belle ta robe – j’en suis verte, ah ! ah ! verte d’envie, comme la robe! Je peux l’essayer? »
« Oui bien sûr, si tu me prêtes ton pull blanc. Mais d’abord, il faut que nous fassions quelque chose! »
« Quoi? » Theodóra était un peu suspicieuse. C’était la première matinée à la campagne avec Henríetta et elles avaient déjà caressé les bœufs, poursuivi les poules, joué avec les chatons, grimpé sur le toit de la grange et dégringolé dans le tas de fumier – ce qui avait demandé une douche et un changement de vêtements. Theodóra avait eu assez d’aventures pour la journée, enfin en tout cas pour avant le déjeuner.
« C’est un secret! Viens – et ferme les yeux! » dit Henrietta impérieuse en entraînant Theodóra.
« Ça suffit là?” Theodóra tira son bonnet sur ses yeux et se laissa guider par la main de Henríetta jusqu’au champ.
« Attends ici et ne regarde pas ! »
Theodóra entendit son amie se mettre à courir. Kolur, le chien de la ferme, se mit à aboyer en direction de la route nationale tandis que les pluviers dorés chantaient sous le soleil.
Elle sentit quelque chose approcher mais ne réussit pas à se rendre compte de ce que c’était avant d’entendre la voix solennelle de Henríetta: « Laissez-moi faire les présentations. Theodóra, voici Blesi. Blesi, voici Theodóra, mon amie. Elle a un peu peur des chevaux mais elle n’a pas de raison d’avoir peur de toi, tu es si vieux et si gentil. »
Un cheval ! Henríetta avait amené un cheval. Theodóra sentit des sueurs froides l’envahir et se mit en colère sur le champ. Henríetta savait très bien qu’elle avait peur de ces grosses bêtes!
« Tu peux ouvrir les yeux maintenant.” Henríetta parlait lentement, avec la même voix douce et chantonnante qu’elle utilisait pour calmer le bœuf ou attirer les chatons de dessous le tas de foin.
« Elle s’imagine que je suis une espèce de vache susceptible? » se mit aussitôt à penser Theodóra en enlevant son bonnet de son visage et en ouvrant les yeux. Henríetta souriait joliment et tenait en longe un cheval rouge avec une crinière blanche.
« Non ! » Theodóra croisa les mains sur sa poitrine.
« Juste un tout petit tour? Pour moi?” Henríetta s’approcha un petit peu en regardant Theodóra avec des yeux suppliants de chiot.
« D‘accord » s’entendit répondre Theodóra. D’accord? Elle allait monter à cheval? Sur un vrai cheval vivant? Elle n’avait pas la moindre idée de ce pourquoi elle avait accepté. Il y avait quelque chose dans la voix de Henríetta et dans son regard qui faisait faire aux gens comme aux animaux les choses les plus improbables.
Henríetta amena Blesi dans l’enclos et fit bien attention de fermer la barrière. Ensuite elle aida son amie à monter. C’était beaucoup moins difficile de grimper sur un cheval que Theodóra ne pensait, ses jambes étaient robustes après les cours de danse de cet hiver et Blesi ne bougeait pas d’un pouce.
« Allons. Serre bien les jambes et attrape les rênes.”
« Et ensuite? »
« Rien. Je guide le cheval, tu n’as rien d’autre à faire qu’à te faire plaisir. »
Henríetta se mit en marche et Blesi au pas à côté d’elle, parfaitement calme. Ce n’était pas si terrible que ça, un peu comme d’être assis sur une grosse chaise à bascule un peu molle. Ils firent les premiers tours de manège très doucement, au pas, et le troisième un peu plus vite. C’était presque drôle, devait reconnaître Theodóra, même si elle n’était pas encore prête à l’avouer à Henríetta.
« Grand-mère arrive, grand-mère, grand-mère ! » Theodóra s’alarma et Blesi releva la tête avec surprise. Henrietta escaladait à toute allure la barrière et courait en direction de la ferme où un 4×4 rouge étincelant faisait voler la poussière.
Oh, non ! Dans toute cette agitation, Henríetta avait malencontreusement accroché le loquet et la barrière s’ouvrait doucement mais sûrement.
« Non. Non, non, non ! Non Blesi!” Mais Blesi pensait certainement qu’il devait encore suivre Henríetta et lui emboîta le pas en direction de la ferme.
Theodóra ne savait comment l’arrêter et dans son affolement, elle lui donna un coup de talon dans le flanc droit. Blesi ne demanda pas son reste, secoua sa crinière et partit au galop en un clin d’oeil.
« Je ne savais pas que les chevaux pouvaient changer de vitesse comme ça, comme des voitures de course » eut Theodóra à peine le temps de penser avant que la terreur ne s’empare d’elle. « Maintenant je meurs. Je tombe, je me brise le cou et je meurs. Mais je reviendrai, pour me venger de Henríetta! »
Theodóra se mit à hurler, tira sur les rênes et un miracle se produisit. Blesi arrêta de secouer et continua sa course comme s’il glissait sur l’air à l’horizontale. Theodóra ne sautait plus sur sa selle et cessa complètement d’avoir peur. C’était formidable. Elle volait, elle volait sur un tapis cheval volant et elle était parfaitement en sécurité. Elle était invincible, elle n’aurait plus jamais peur.
Puis d’un coup la course prit fin. Blesi était arrêté devant le porche de la ferme comme si de rien n’était, juste un peu humide après sa course. Theodóra se laissa glisser à terre et Henríetta et sa grand-mère se précipitèrent vers elle.
„Eh bien, j’ai oublié de te dire que Blesi était un cheval de course lorsqu’il était jeune ; Champion de tölt du Sud et aussi de toute l’Islande. Grand-père le faisait toujours partir au tolt devant la ferme quand il était encore en vie…”
« Tölt ? »
« Oui, tu as fait partir Blesi au tölt, tu ne le savais pas ? » Henrietta, toute chose, tripotait les boutons de son pull et regardait tantôt Theodóra tantôt sa grand-mère.
Theodóra ne répondit rien. Tölt – elle ne connaissait pas ce mot.
« C’était incroyable de te voir à cette allure à nouveau, je croyais que tu étais bien trop vieux pour ça mon ami» soufflait la grand-mère en caressant le museau tout doux de Blesi. Elle sortit de son sac un morceau de pain.
« Excuse-moi, je me suis oubliée. Tu m’en veux? » demanda Henrietta.
Theodóra hésita un peu puis sourit jusqu’aux oreilles et tendit les rênes à Henríetta. Et cela suffit.
Car parfois les meilleures amies n’ont pas besoin de mots, elles se comprennent quand même.
Texte@Harpa Jónsdóttir 2011
Illustrations de fond@Charline Picard
Photographie@Hélène Magnússon
Tous droits réservés.
Vêtements portés par les poupées: patrons ici.
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Harpa Jonsdóttir est l’auteur de plusieurs livre, notamment “Ferðin til Samiraka” (Le voyage à Samiraka) qui lui a valu le prix de la littérature jeunesse en Islande en 2002. C’est aussi une tricoteuse et brodeuse de tricot. Ces deux passions se combinent merveilleusement: voyez l’entretien avec Harpa “Quand tricot et écriture s’emmêlent”, ici.